dimanche, avril 20, 2025
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    Hendrix, interview inédite

    Le 4 février 1970, John Burks, alors rédacteur en chef de Rolling Stone, fut invité par Michael Jeffrey, le manager de Jimi Hendrix, à interviewer la star de la guitare à New York. À cette époque, Hendrix traversait une phase de transition : il venait de dissoudre le Jimi Hendrix Experience original afin d’explorer de nouveaux horizons avec le groupe Band Sun And Rainbows, qui allait ensuite évoluer en Band of Gypsys, un trio comprenant le batteur de l’Experience Mitch Mitchell et le bassiste Buddy Cox. Bien que Mitchell et Noel Redding (bassiste d’origine) soient présents lors de l’entretien — organisé par Jeffrey pour promouvoir ce qui devait être une réunion du Jimi Hendrix Experience original —, l’esprit de Hendrix semblait déjà ailleurs : il partirait bientôt en tournée uniquement avec Mitchell et Cox. (Redding apprendra qu’il avait été remplacé… par la petite amie de Mitchell.)

    L’interview qui suit, intitulée « The End Of A Big Long Fairy Tale » (La fin d’un long et grand conte de fées), a été publiée en 1970 et demeurait inédite en français jusqu’à maintenant.

     



    Quand tu composes une chanson, est-ce que ça te vient spontanément, ou est-ce que c’est un processus plus structuré où tu t’assois avec ta guitare ou ton piano à dix heures du matin ?


    La musique que je peux entendre dans ma tête, je n’arrive pas à la sortir avec ma guitare. C’est plutôt un truc qui arrive quand je traîne, que je rêve un peu. Tu entends toute cette musique… et tu n’arrives pas à la reproduire avec ta guitare. En fait, si tu prends ta guitare et que tu essaies juste de jouer, ça gâche tout. Je ne joue pas assez bien pour réussir à sortir toute cette musique, alors je traîne. J’aurais aimé apprendre à écrire pour instruments. C’est ce que je vais essayer de faire ensuite, je suppose.

    Donc pour un morceau comme Foxey Lady, tu entends d’abord la musique et ensuite viennent les paroles ?


    Ça dépend. Pour Foxey Lady, on a juste commencé à jouer en fait, on a installé un micro, et j’avais ces paroles [rire]. Pour Voodoo Child (Slight Return), quelqu’un filmait pendant qu’on jouait ça. On l’a refait trois fois parce qu’ils voulaient nous filmer en train d’enregistrer, tu vois, genre [il imite une voix pompeuse] « Faites comme si vous enregistriez les gars » — ce genre de scènes, tu vois. Donc on s’est dit : « OK, jouons ça en mi. Un-deux-trois… » et on est partis sur Voodoo Child.

    Quand j’entends Mitch partir à fond, toi qui virevoltes par-dessus, et la basse qui devient complètement libre, l’ensemble a presque des airs de jazz avant-gardiste.


    C’est parce que ça vient de là — de la batterie.

    Tu écoutes des musiciens de jazz avant-gardiste ?


    Ouais, quand on est allés en Suède, on a entendu des mecs qu’on ne connaissait pas du tout. Ils jouaient dans des petits clubs de campagne, dans des caves, des sons que tu peux à peine imaginer. Des gars de Suède, de Copenhague, d’Amsterdam ou de Stockholm. Parfois, tu sens qu’ils se synchronisent, comme une vague. Ils se connectent entre eux, avec leurs personnalités, la fête de la veille, la gueule de bois [rires]… et puis les tensions les éloignent à nouveau. Tu l’entends, ça commence à se délier. Puis ça se rassemble. C’est comme une vague, je suppose, qui vient et repart.

    Et pour toi, quel est le meilleur endroit pour jouer, pour vraiment t’éclater musicalement ?


    J’aime bien les jams tard le soir, dans des petits clubs. Tu ressens autre chose, tu t’éclates différemment avec toutes les personnes autour de toi. C’est pas les projecteurs, c’est juste les gens.

    Et comment tu décrirais la différence entre ce que tu ressens sur scène dans ces contextes-là et les grandes scènes ?


    Avec le public, c’est plus onirique. C’est comme si tu t’élevais vers autre chose. Parfois tu montes tellement haut que t’es ailleurs. Tu n’oublies pas le public, mais tu oublies cette parano de scène, ce moment où tu te dis : « Oh merde, je suis sur scène — je fais quoi maintenant ? » Et puis tu rentres dans un autre état, c’est presque comme une pièce de théâtre, d’une certaine façon.

    Tu ne fracasses plus beaucoup d’amplis, ni de guitares en feu ces derniers temps.


    Peut-être que je faisais juste attention à ma guitare, pour une fois. Peut-être.

    C’était un choix conscient ?


    Oh, je sais pas. C’est comme… la fin d’un commencement. Pour moi, le concert au Madison Square Garden, c’était comme la fin d’un long conte de fées. Et c’est très bien comme ça. C’est la meilleure chose que j’aurais pu imaginer. Le groupe était incroyable, à mes yeux.

    Mais toi, qu’est-ce qui t’est arrivé ?


    C’est juste… un changement d’état d’esprit. J’étais en pleine transition. Honnêtement, je pourrais pas vraiment expliquer. J’étais très fatigué. Parfois, plein de choses s’accumulent dans ta tête — des idées, des ressentis. Et elles t’éclatent au visage au pire moment, et pour moi, c’était à ce rassemblement pour la paix… alors que je menais la plus grande guerre de ma vie — à l’intérieur, tu vois ? Et c’était clairement pas le bon moment pour ça. Alors j’ai simplement laissé tomber les apparences. 


    Quelle part prends-tu dans la production de tes albums ? Par exemple, as-tu produit ton premier disque Are You Experienced ?

    Non, c’étaient surtout Chas Chandler et Eddie Kramer qui ont travaillé là-dessus. Eddie était l’ingé son, et Chas, en tant que producteur, s’assurait surtout que tout tienne debout.

    Sur le dernier album Electric Ladyland, tu es crédité en tant que producteur. Tu as tout fait toi-même ?


    Non, pas vraiment. Disons que c’était Eddie Kramer et moi. Tout ce que j’ai fait, c’est être là, et m’assurer qu’on avait les bonnes chansons, et le bon son. On cherchait un son particulier. Mais on l’a perdu au mixage final, parce qu’on est partis en tournée juste avant la fin. Quand j’ai réécouté, j’ai trouvé que le son était très flou.

    Tu as repris All Along the Watchtower sur le dernier disque. Il y a d’autres chansons de Bob Dylan que tu aimerais enregistrer ?


    Oh ouais. J’aime bien celle qui dit « Please help me in my weakness » (Drifter’s Escape). Elle est géniale. J’aimerais bien l’enregistrer. J’adore ses albums Blonde on Blonde et Highway 61 Revisited. Même ses trucs country, parfois, c’est sympa. Plus calme, tu vois.

    Ta version de Watchtower m’a vraiment fait découvrir cette chanson, plus que celle de Dylan.


    Tu sais, ce sont des reflets… comme dans un miroir. [rires] Tu te souviens de Room Full of Mirrors ? C’est une chanson, on essaie de l’enregistrer, mais je crois qu’on ne la finira jamais. Et j’espère bien qu’on ne la finira pas. Elle parle de comment sortir de cette pièce remplie de miroirs.

    Pourquoi tu penses que tu ne peux pas la finir ?


    [Imite une voix précieuse] Eh bien, tu vois, je suis dans une phase santé en ce moment. Je suis à fond sur le germe de blé, mais… tu vois ce que je veux dire [rires]… Je sais pas pourquoi.

    On ne peut pas vraiment dire que tu sois un guitariste country.


    Merci.

    Tu prends ça comme un compliment ?


    Ça le serait si j’étais un guitariste country. Ce serait une autre étape.

    Tu écoutes des groupes de country comme les Flying Burrito Brothers ?


    Qui est le guitariste des Burrito Brothers ? Ce gars-là joue vraiment bien. Je l’adore. Il est vraiment génial à la guitare. C’est ça qui me donne envie d’écouter ce genre de trucs : la musique. » C’est doux. Il y a quelque chose de spécial dans ce son.
— *[Avec un accent traînant] « Hello walls… » [Rires] Tu connais ce morceau, Hello Walls ?

    Tu te souviens de Bob Wills and the Texas Playboys ?


    [Rires] J’adore. Le Grand Ole Opry passait à la télé, je regardais ça. Y’avait des mecs vraiment costauds, des sacrés guitaristes.

    Quels musiciens tu fais l’effort d’aller écouter ?


    Nina Simone et Mountain. Je les adore.

    Et un groupe comme les McCoys ?

    [Il chante l’intro de Hang On Sloopy, avec Rick Derringer à la guitare] Ouais, le guitariste est super.

    C’est vrai que tu répétais avec Band of Gypsys 12 à 18 heures par jour ?


    Ouais, on jammait en fait. On disait qu’on “répétait” pour faire plus officiel. Mais on faisait juste notre truc, c’est tout. Pas vraiment 18 heures — disons plutôt 12 ou 14 [rires]. Le plus longtemps qu’on ait joué avec l’Experience, c’était en concert. On a fait presque trois heures une fois. On créait du son. Les gens font du bruit en applaudissant. Alors nous, on leur renvoie du son. J’aime les sons électriques, le feedback, les parasites, tout ça. 


    Tu comptes sortir un single en plus d’un album ?


    Il y en a peut-être un autre qui va sortir bientôt, d’un projet à part. Je sais pas pour l’Experience. Les maisons de disques veulent tous des singles. Mais tu peux pas juste t’asseoir et dire : « Faisons une piste, un single ou je sais pas quoi. » Nous, on fait pas ça. On ne fait pas ça.

    Creedence Clearwater Revival fait ça jusqu’à avoir assez de titres pour un album, comme à l’ancienne.


    Ouais, ben ça c’est à l’ancienne. Nous, je nous considère plus comme des musiciens. Avec un esprit de musiciens, tu vois ?

    Mais les singles, ça peut rapporter un peu d’oseille, non ?


    C’est pour ça qu’ils en sortent. Mais ils se servent après coup. Tu bosses tout un album bien pensé, et tout à coup, ils te sortent — par exemple — Crosstown Traffic en single. Ça sort de nulle part, d’un autre univers. Cet album avait une logique, on avait réfléchi à l’ordre des morceaux pour une raison. Et là, c’est presque un péché d’arracher un titre de tout ça pour en faire un single, et de nous représenter à ce moment-là juste parce qu’ils pensent que ça va rapporter plus. Et ils choisissent toujours les mauvais morceaux.

    À quelle fréquence comptes-tu espacer les concerts avec l’Experience pour ne pas te sentir enfermé ?


    Aussi souvent qu’on sera tous les trois d’accord. J’aimerais que ça devienne quelque chose de permanent.

    As-tu envisagé de partir en tournée avec l’Experience comme base, mais en emmenant d’autres musiciens avec vous ? Ou est-ce que ce serait trop confus ?


    Non, ça ne devrait pas l’être. Peut-être que c’est moi le diable dans l’histoire, non ? [rires] Mais il n’y a aucune raison pour que ça se passe comme ça. Je veux même que le nom reste Experience, tout en continuant ce genre de mélange improbable entre Madame Flipflop et ses assistantes sociales harmoniques [sic].

    C’est un joli nom.


    C’est un joli jeu. Non, ce que je veux dire, c’est à propos de faire venir d’autres groupes sur la tournée, comme nos potes — je sais pas encore. Pas à ce stade, parce qu’on est encore en train de vraiment solidifier notre truc en tant que trio. Mais plus tard, on aura du temps pour jouer avec d’autres. C’est pour ça que je vais probablement jammer avec Buddy [Miles] et Billy [Cox], et sûrement enregistrer aussi, de notre côté. Et eux feront pareil.

    Tu as déjà pensé à faire une tournée avec une douzaine de musiciens ?


    J’aime bien Stevie Winwood. C’est l’un de ces douze-là, tu vois ? Mais pas besoin que ce soit toujours officiel. Pas besoin de formalités pour des jams ou ce genre de trucs. Mais j’ai pas encore eu l’occasion de reprendre contact avec lui.

    Tu penses parfois à inviter d’autres guitaristes dans ton univers ?


    Oh oui. D’ailleurs, j’ai entendu dire que Duane Eddy est arrivé en ville ce matin [rires]. Il est cool.

    Tu as déjà joué avec Larry Coryell, Sonny Sharrock ou d’autres dans ce style ?


    Larry et moi, on a fait des petits jams rapides. De temps en temps, on arrivait à se croiser. Mais j’ai pas eu l’occasion de vraiment jouer avec lui, pas récemment en tout cas. Il me manque un peu, tu vois.

    Tu l’écoutes ?


    Oui, j’aime bien Larry Coryell.

    Plus que d’autres ?


    Oh, pas plus. C’est qui l’autre gars déjà ? J’ai écouté quelques-uns de ses trucs.

    Il explore la guitare dans tous les sens. Parfois, ça a l’air un peu désordonné.


    Ça te rappelle quelqu’un, non ? [rires]

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